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vendredi 29 février 2008

778 - Jean-Louis Costes

Je ne connais Costes que par échos, bribes d'interviews, rumeurs. Je n'ai pas lu ses oeuvres littéraires. J'ai juste aperçu des extraits de ses "opéras" outrageants... Je ne me suis jamais penché sérieusement sur ses productions artistiques, cependant je sens chez lui certaines profondeurs propres au mystique. Profondeurs qui ne sont pas nécessairement hauteurs... N'importe ! Chez lui il y a une consistance, une énergie qui sans être tout à fait sacrée n'a rien de profane pour autant. Disons qu'il serait sur la voie, en chemin vers l'éblouissement. Certes moi non plus je n'aime pas du tout son côté glauque, scatologique ou prétendu tel, enfin toutes ses outrances répugnantes, mais après tout je me dis que cette apparente ordure est secondaire. Peu importe l'odeur de fumier qui se dégage de ses oeuvres, finalement je ne le trouve pas si choquant que cela tant que je ne m'arrête pas à mes premières impressions, superficielles. Ses tableaux scéniques, aussi misérables et décadents puissent-ils paraître ne sont que les supports trompeurs et anecdotiques -et peut-être même maladroits- de ce qui brûle en lui. L'essentiel chez lui, me semble-t-il, n'est pas dans cette esthétique dégénérée. L'important, c'est cette flamme qui l'habite. Ce feu qui le porte toutes ailes déployées là où peu d'entre nous accepteraient de poser ne serait-ce que le bout de la semelle.

Avec Costes ne nous arrêtons surtout pas aux apparences. Le personnage mérite mieux que notre mépris mondain.

Derrière cette façade d'excréments, de scandale, je sens chez lui une pureté, un éclat, une beauté supérieure, non pas sottement esthétique mais plus universellement -et plus simplement- mystique. Son parcours fangeux me fait songer à un cheminement vers le divin. La merde n'empêche pas la lumière. Il n'y a que les froids, hautains et frileux contradicteurs aux fronts délicats, aux dentelles fines et aux pensées molles qui font les dégoûtés-révoltés devant Costes. Face à lui ils font les caniches de salon. Ils parlent de lui depuis leur hauteur de petits insectes secs et dignes, bien propres sur eux, ne daignant baisser leur vue ni la lever au-delà de leur horizon lustré. Attitude bornée, confortable et lâche que j'adoptais moi aussi, au début. Mais Costes la bête, Costes l'ogre est aussi et surtout Costes l'Homme. L'Homme sous tous ses aspects : l'humanité totale, paradoxale, révoltante et glorieuse. Du bébé angélique au moribond crapuleux, de l'individu au collectif, de l'ordinaire au monstre, de l'insignifiant au génie, de l'insipide au vomitif, bref l'humanité de la terre, de notre terre, de notre temps, l'humanité de "notre monde". Et non l'humanité indolore, incolore, flasque, insensible et irresponsable de ces livres d'images bêtes que nous avons dans la tête.

L'astre et la pourriture, la fange et le cristal, la cendre et la chair, le sang et la fleur, tels sont les trésors flatteurs et dérangeants que porte en oui cet infréquentable champion de l'indicible.

Costes incarne magistralement et avec une insupportable sincérité les paradoxes odieux du monde et de l'homme, entre abîmes et sommets, entre "gouffres sans issue" et céleste essor. Là où nous fermons les yeux, il ouvre les siens. Nous détournons le regard de la mare humaine, il y plonge son âme. Parcours christique, cheminement rédempteur, explorations abyssales de l'âme... Costes n'est-il pas descendu dans nos enfers cachés pour mieux s'en extraire à présent que le fond a été atteint ?

Avec sous ses pieds ces tonnes d'engrais malodorant (qui n'est à mon sens que la simple illusion de celui qui n'a qu'une vue partielle des choses), que peut-on attendre d'autre de Costes qu'une montée fulgurante et extatique vers lui-même, doté depuis toujours de ce que je soupçonne être des ailes ?

mardi 19 février 2008

777 - Buvez !

Le vin vaut bien vingt dieux, deux ou trois faux pas et quelques jurons !

Buvez car la vigne n'est pas mauvaise pour le coeur assoiffé. Buvez, des lutins dorés vous descendront dans le gosier. Buvez surtout de peur de vous noyer dans une eau qui nécessairement sera plate.

Buvez, humains. Buvez, chiens que vous êtes ! Buvez, braves braillards ! Votre joie vous sanctifie, fait de vous des hommes. L'ivresse est bonne, saine, féconde : elle délie les langues, rosit la sombre mélancolie, rallume les âmes. Et inspire toutes les natures.

Le breuvage alcoolique bonifie les caractères, allège les idées et adoucit même les crapules. Ce qui fait tourner les têtes fait monter les âmes.

Il n'y a que les fous qui chantent sous l'eau de pluie.

Et vous les abstinents buvez plus que les autres car en vérité je vous le dis, le salut de votre gorge asséchée est dans la bière, le petit rosé et l'eau-de-vie.

On prétend que le vin rend méchant, sot, imprudent. Fadaises ! Les corrompus, les ânes, les écervelés, ce sont les buveurs de lait ! Ces mesquins ne connaissent pas l'or de l'esprit. Méprisant les hauteurs éthyliques, ils ne sont jamais dans le secret des dieux de la bouteille. Ce bonheur à portée de lèvres, ils le boudent pour un oui, pour un non. Et ils meurent un jour. Sans feu, sans joie, sans bruit.

Imbibés d'eau.

Et ils font un petit plouf ! Et ils appellent cela "dignité"...

Tandis que le buveur, hydraté avec l'onde dorée, brune ou verte, meurt à voix haute, la tête la première, le souffle vif, le coeur battant.

Et fait un magnifique plongeon.

lundi 18 février 2008

776 - Prise de bière

Un verre de bière m'attend.

En portant à mes lèvres l'ampoule brune, il me semble descendre dans un fût au bois séculaire. Les vapeurs délicieusement rances imprègneront bientôt mon cerveau...

Tandis que les bulles amères et sucrées se dissolvent dans ma gorge, l'onde qui imbibe mes voies nobles s'évapore mollement dans mon âme. A la dixième gorgée, des astres se présentent à moi avec des politesses d'un autre siècle. Je les vois, ils me tournent autour en me faisant des signes empreints de majesté. Leur danse hypnotique m'entraîne vers des hauteurs soudaines : mes pas deviennent des sauts et je vole.

Mes ailes débordent de mon verre et je me noie dans l'air. Et je ris d'un rien. Et je me fous de tout.

Alors que la bière coule en moi, je monte aux étoiles, m'en prends aux dieux romains, grecs, latins, enfin je veux parler de ces drôles de rois qui gouvernent les buveurs, et je descends des escaliers galactiques, me prends les pieds dans un tapis de brume, tombe dans un tas de chimères.

Je me relève, perds l'équilibre, retombe dans mes nues, la semelle pénétrée de joie, le coeur humecté d'éther. Le houblon parfume mon ciel. Sa voûte ouatée est ambrée, chaude, généreuse. Je ne monte plus, je flotte.

Le temps de trois autres gorgées.

Puis lentement je glisse, je succombe, je sombre, je m'endors, je rêve.

Non, je ne rêve pas. Je suis ailleurs. On me parle, je balbutie. En fait je ne sais plus.

Je dois être en train de picorer des constellations, de faire sonner quelque clocher ou de courir je ne sais quel gibier fabuleux. Bref, je suis saoul, je suis plein, je suis rond.

Fier d'être mort... Non, mort de bière. Enfin je veux dire livré de bière, rire de mort. Ou à peu près cela... Quelque chose comme ivre de mort, fier de vivre.

Ou peut-être mis en bière.